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Onirisme et Destruction 2

« La Mort demeure ;

Qu’importe l’heure.

Elle n’entre jamais par la même porte.»

Extrait de l’Apocryphe « Yzvoj », chapitre 2516

C’était un soir, au sein de l’université de Sans Nom. La pluie tambourinait sur les fenêtres crasseuses en ce premier mois d’hiver de l’année. La salle informatique ronronnait de bruissements et de souffles. Les écrans scintillaient d’une pâle lueur bleue électrique. Galférion était en retard. Dehors la nuit tombait sur un tourbillon de brouillard grisâtre. Il éteignit le vieil ordinateur au socle bancal, puis se leva de sa chaise inconfortable. Son dos le lançait. Étant le dernier, il lui revenait le devoir de tout couper. Or sur l’un des ordinateurs, il tomba sur une page de mail ouverte. Curieux, il la lut. Il était adressé à une certaine Anna Délange, fille dont il ignorait tout :

 

 

« Tu sors. La menace invisible se déploie, auréolée par la pâle lueur de la ruelle.

Sous quelle forme naîtra-t-elle pour te happer, oh toi, Flamme du Crépuscule ?

Vas-tu mourir ? Où vivre ? L'heure est-elle au devenir ?

Moi je sais, et je le susurre dans la nuit : tu vas périr. »

 

Un frisson le parcourut. Il recula après avoir tout fermé. La salle informatique obscure semblait bien moins accueillante que quelques minutes plus tôt. Et il lui sembla voir une silhouette féminine filer le long d’un mur nu et bétonné. Et peut-être même une deuxième, plus petite et masculine, s’étendre sur le plafond avec la fugacité d’un reflet. Il quitta alors la pièce, en demeurant sur ses gardes, les jambes en position, prêt à se défendre. Mais rien ne bougea, sinon quelques ombres à travers les vitres. Il bondit alors dans le couloir, et courut jusqu’à la sortie…

 

 

Son petit frère plongea sous ses couvertures. Ses cheveux châtains étaient désormais à peine visibles au niveau de l’oreiller où figuraient des étoiles. Galférion poussa un long soupir en éteignant sa lampe torche. Il venait de lui raconter la scène. Il appuya aussitôt sur l'interrupteur. Une clarté apaisante inonda la chambre minuscule.

― J'avoue que ce n'était pas très intelligent de ma part. Je suis désolé, Mani, je ne voulais pas t’effrayer.

Il s'approcha du lit et tapota sa tête avec un simulacre de tendresse.

― Réponds, au moins, andouille ! Je m'excuse pour t'avoir fait peur. Je m'excuse !

― Vraiment ? Alors, achète-moi un gâteau demain matin.

― Profiteur ! Je devrais t'étrangler.

Galférion s’approcha avec un air faussement menaçant. Les yeux innocents de Mani s’écarquillèrent, puis il éclata brusquement de rire.

― Tu sais, j'ai fait semblant d'être terrifié quand tu as pris ta grosse voix et agité ta torche. On aurait dit un chimpanzé !

Le jeune frère, de nouveau hilare, se trémoussa en se tenant le ventre.

―Tu n'exagères pas un peu, souffla Galférion, intérieurement amusé.

Il recula de quelques pas, en se frottant les yeux.

― Je vais me coucher.

― Attends ! s'exclama Mani alors qu'il poussait la porte. D’où vient ce truc censé faire peur ?

Galférion resta silencieux un instant, puis lui adressa un sourire distant.

― Je suis tombé par hasard sur un mail à la fac. Le dernier utilisateur avait oublié de fermer sa session.

― Alors à qui... ?

Galférion referma doucement la porte décorée de dessins multicolores et traversa le couloir plongé dans la pénombre. S'il pouvait éviter de réveiller ses parents, ce serait parfait. Son père travaillait en usine et sa mère était caissière à mi-temps. Ils se levaient tôt, rentraient assez tard; poursuivant des journées monotones avec une ténacité néanmoins exemplaire. Galférion, du haut de ses dix-neuf ans, rêvait un jour de leur ressembler, le labeur en moins.

Leur appartement n'était ni très grand, ni trop détérioré, ni trop propre, ni trop lumineux; son manque de caractère attristait profondément le jeune homme. Il aimait cet endroit, mais le détestait aussi, surtout quand, revenant des cours, il détaillait d’un regard morne cet immeuble tranchant de banalité, gris tel un voile nuageux, où il habitait.

« Je m'ennuie. » songea-t-il en pénétrant dans sa propre chambre.

Cette dernière était de la même taille que celle de son frère. Des piles de papier, des livres de cours et autres s'empilaient sur son bureau, sous son lit. L'ordinateur portable qu'il s'était payé lui-même avait disparu sous la masse. Il ne s’en servait pas souvent, n’ayant pas le net ici, mais c’était plutôt pratique pour stocker des données. Certains magazines - moins sérieux - gisaient entre deux planches de bois au fond de son placard, cernés par des cohortes de vêtements ordinaires.

Sans doute pour trancher avec les habitudes, Galférion nommait cet endroit son espace vital de chaos ordonné. Le jeune homme oubliait souvent où se trouvaient les objets importants à ses yeux, mais il avait toujours la satisfaction de savoir qu’ils étaient là, quelque part, juste sous son nez. Alors il soulevait un objet, renversait une pile, en déplaçait une, créant ainsi un remue-ménage assez intense pour rétablir sa mobilité mentale et renvoyer au néant sa morosité implacable. Cette chasse au trésor souvent infructueuse lui donnait l'impression d'être un cas unique dans l'essence même de la banalité.

― Demain est un autre jour. Tout ira mieux. Cette histoire de mail sera sortie de mon esprit et ne viendra plus me troubler.

Galférion bâilla, se coucha et n'arriva pas à s'endormir. Ce message intriguant tournoyait dans son esprit. Et notamment le nom de la personne à laquelle il était destiné : Anna Dêlange. Pourquoi cette fille recevait-elle des menaces ? De plus, le nom de l'envoyeur, certainement un pseudonyme, s'épelait « IRA », colère en latin. Sans doute poussé par la profonde lassitude qu’il ressentait, Galférion fantasma…

« Peut-être une histoire de Vengeance ? Un ex serait devenu fou d‘un obscur amour, après avoir été jeté tel un sachet de riz vide à la poubelle. Dans ces cas-là, je pourrais jouer les héros en démasquant le coupable, puis fuir avant de recevoir le baiser d'une mocheté sortie d'un conte de démon. Ce serait drôle, et pourquoi ne pas rajouter un petit frisson de danger ? Du genre, le type sort un couteau... »

Par la suite, ses pensées rocambolesques furent tellement confuses qu'il ne s'en souvenait plus le lendemain, à l'aurore. En revanche, il se rappelait du mail et de ses mystères excitants. Il se préparait à trancher le fil prévisible de son existence. Il attendait cette petite intrigue depuis trop longtemps pour reculer. Enfin, un événement sortait de l'ordinaire. Maintenant, il lui fallait mettre un visage sur le prénom de la fille, et tenter d'en savoir plus, tout en évoluant dans l’ombre.

De cette manière, même si IRA se montrait, elle ne serait pas seule pour affronter le danger. Les pensées de Galférion défilaient ainsi alors qu'il montait dans le bus d'un bond. Le chauffeur semblait parfaitement banal, outre sa dent d'or. Galférion lui lança un « bonjour » auquel il répondit par un murmure, et s'en fut rejoindre un siège tout en marmonnant. Les yeux bleu ciel du jeune homme étincelaient à l‘idée de vivre une aventure, même futile.

 

* * *

 

La ville de Sans Nom s’épanouissait en une cataracte de ténèbres informe et malodorante. Immeubles insalubres et spectraux croupissaient sous un ciel de carbone. Les rues étroites et les avenues étaient parsemées de lampadaires bancals. Ils diffusaient une pâle clarté que l’aube soufflait déjà. Sans Nom faisait référence à l’Arcane de tarot numéro XIII, la Mort, et en tant que tel, malgré sa banalité, la cité détenait un charme sinistre, digne du baiser glacial de la Faucheuse. Elle avait une longue histoire, ayant été bâtie des siècles plus tôt par les premiers hommes qui s’étaient installés sur le continent d’Ark. Elle se situait au cœur d’une vallée au milieu de deux fleuves noirs, entre des monts immenses et dévorés par les brumes. Au loin, bien plus haut, un barrage gigantesque jaillissait du brouillard par intermittence, fournissant l’essentiel de son énergie. En contrebas, la corde sombre de la rocade étranglait Sans Nom.

La voiture filait à vive allure sur l'autoroute. Le chauffeur aux cheveux argentés portait des lunettes de Soleil rondes sur son nez de belle longueur. Ses pupilles d'argiles brillaient sitôt derrière, et d'importants sourcils foncés se rejoignaient au-dessus d’elles. Mais c'était sans aucun doute le corps trapu et fort du chauffeur qui retenait le plus l'attention, ainsi que l'étrange matraque blanche qu'il portait à la ceinture. Le mystère demeurait en cela que ladite matraque mesurait moins de vingt centimètres de long. La voix veloutée de Gustave retentit dans le véhicule luxueux à l‘adresse d’une jeune femme distraite allongée sur la banquette arrière.

― Mademoiselle, nous allons bientôt arriver à l'université, vous devriez...

― Laissez-moi me reposer, espèce de vieille brêle chevaleresque, fit-t-elle sur un ton las.

L'étudiante repoussa sa frange blonde hors de son angle de vue et foudroya son protecteur du regard. Ses gigantesques prunelles marron se troublèrent d’un mince fil violet, qui dans d’autres circonstances, aurait alerté le spectateur moyen de leur étrangeté.

― Ce n'est pas de ma faute si vous avez fait la fête toute la nuit, protesta le garde du corps, vexé.

― En effet, Gustave, ce n'est pas de votre faute. Il n'empêche néanmoins que vous êtes responsable du ronronnement caverneux et agaçant au possible, de cet engin de malheur.

La jeune femme glissa son bras sous son menton, après avoir fait volte-face en étirant ses longues jambes.

― Qui plus est, cette fête était d'un ennui. Passer sa soirée à boire, à parler de rien et à s'égarer dans le vent; j’avais un petit espoir de m'amuser. Et bien, non, non, c'était une catastrophe. Des bruits écœurants ont joué en rythme avec la musique, elle-même assez puissante pour percer les tympans d’un sourd. De la fumée auréolait l’air à chaque recoin de salles ! Et je ne parle même pas de ces barbares qui avaient l'intention d'emmancher plusieurs filles fortement éméchées. Ils arrivaient tous comme des poids lourds avec une haleine capable de rivaliser avec l’exhalaison d’une bouche d’égout. Aucun style. Tous ces salauds, ses « empaleurs » artificiels, ces morveux tous paumés…

― Arrêtez avec ce vocabulaire barbare, Anna ! s'exclama Gustave, faussement outré.

C’était un jeu amusant qu’ils entretenaient l’un envers l’autre depuis leur fugace rencontre, quelques semaines plus tôt. Ils se donnaient la réplique pour créer une aura de détente, et oublier un peu la raison de leur présence sur cette planète. Gustave se déporta sur la gauche pour doubler un véhicule à la mode, et notamment son propriétaire, qui lui faisait de l'œil dans son gros rétroviseur droit, l'air de dire : « T’as vu ma caisse, hein, hein? ».

― Je n'ai fait que reprendre les termes de ces obsédés, se défendit mollement Anna.

―, Mais qu’attendiez-vous des jeunes êtres à la vie éphémère peuplant cette planète ? Ils sont jeunes et profitent de la vie de manière expéditive et jouissive; c’est dans leur nature.

― Peut-être bien, mais il existe une certaine différence entre l'obsession chronique excessive et l'attirance réciproque naturelle. Baiser pour baiser, c'est d'une absurdité !

Gustave fut à deux doigts de perdre les pédales, de manière fort littérale. La voiture parut faire un bond grandiloquent après avoir doublé un chauffard, au bras d'honneur brandi dans son rétroviseur gauche. Anna retomba après avoir eu droit à un petit déplacement orbital au-dessus de la banquette arrière.

― Vous conduisez vraiment comme une carpe, Gustave !

― Disons que ma conduite est à l'effigie de votre vocabulaire, ainsi nous sommes quittes.

À vrai dire, ce n’était pas le vocabulaire de sa protégée qu'il redoutait, mais une possible attaque d’Ira. Anna se renversa sur le dos, en remontant son jeans d'une main. Personne ne devait savoir qu'elle portait des culottes en dentelles, surtout pas cet idiot de Gustave. Son père ne tolérait aucune fantaisie; tout comme le peuple qu’il représentait, et comme elle aurait dû le faire. Mais elle avait vécu un peu plus de trois ans sur Sans Nom, et s’était entichée du mode de vie des êtres humains.

― Ils ne savent pas qui vous êtes vraiment. Sinon, à défaut de vous vénérer, ils vous obéiraient au doigt et à l’œil, ajouta Gustave avec humour.

― Dîtes, Gustave, vous m'en voudriez si je vous apprenais que j'ai malencontreusement perdu mon calme hier soir ?

― Qu'avez-vous encore fait, Anna !

― Disons que j'ai donné une leçon à tous ces fourbes. Ces épaves me tapaient sur les nerfs avec leur rictus grotesque. J'ai créé un nuage de brume avec une bombe spéciale, après avoir évacué toutes les filles en lieux sûrs. Devinez-vous la suite ou faudra-t-il que je vous la souffle, Gustave ?

Ce dernier avait une vague idée des événements qui avaient découlé des agissements d‘Anna.

― Vous donnez votre langue au chat ! Parfait. Quand le brouillard s’est dissipé, leurs doigts se sont retrouvés en terres étrangères. À mon avis, ils ne recommenceront pas de sitôt.

― Vous avez encore révélé vos capacités ? Les mails d’IRA ne vous suffisent plus ?

― Je m'en fiche royalement.

Au même instant, Gustave quittait l'autoroute avec un long soupir, ses deux mains bien serrées sur le volant de son véhicule. Ce nouveau job ne l’enchantait guère; la petite n’en faisait qu’à sa tête. Si son employeur, autrement dit le père d'Anna, l'apprenait, ce serait le carton vide pour lui le mois suivant. Sa paye galactique s'envolerait tel un météore, et il aurait beau jeu d'expliquer qu'il ne pouvait rien y faire. Cela reviendrait seulement à avouer son incompétence.

― Inutile d'aller jusqu'à l'université avec cette voiture voyante. Arrêtez-vous là, déclara-t-elle en désignant l'entrée d'un parc.

― Je dois...

―Ne discutez pas, faites ce que je vous dis de faire. »

Quelques secondes plus tard, la portière claquait sur la silhouette élancée d'Anna. Cette dernière posa ses lunettes de Soleil carrées sur son nez et serra contre elle son sac en bandoulière avant de bâiller longuement. Elle s'étira devant l'entrée clairsemée du parc, puis elle s'élança vaillamment sous les arbres hauts et ternes du mois d’hiver.

Songelame - science-fantasy
G.N.Paradis - inconnu

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Résumé du Livre

Lorsque Galférion Bell reçoit un étrange mail qui ne lui est pas destiné et met la main sur une mystérieuse sphère, sa vie bascule. D'anodine, elle devient peu à peu extraordinaire, ce qui n'est pas sans danger.

D'étonnants êtres venus d'ailleurs semblent avoir fait de sa planète une terrain de jeu et d'expérimentations. Réussira-t-il à démêler le vrai, du faux, la vérité du mensonge, sans sombrer dans la folie ?

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