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Onirisme et Destruction 18

Comme tout plan, celui de Galférion comportait plusieurs failles. Les plus profondes concernaient Anna elle-même, ses concurrents et le hasard. Ce dernier se déguisait sans laisser de traces, manipulait quelques fils, puis frappait en un point inconnu de la ligne du temps. À ce moment précis, un divin hasard pouvait surprendre les plus fins observateurs, offrir un mal pour un bien et peut-être même sauver des vies ou tout le contraire. On nommait cet effet de toile par le nom d’une divinité : l’Innommable. Des fanatiques du chaos lui vouaient un culte dans quelques alcôves secrètes de la cité.

En remontant une allée bordée de pots vides, Galférion tentait de calmer son angoisse. Il était seul face à un manoir de pierres blanches couronné de chapeaux pointus et de dentelles de roches. Situé en périphérie de la ville, cet habitat était entouré de sentiers et d’arbres, de bancs et de fontaines, où l’on devinait quelques silhouettes effarées par l’immensité et la beauté des lieux malgré le climat hivernal.

Habillé noblement, Falane accueillait ses invitées avec des sourires charmeurs et offrait son plus beau mépris à ses homologues masculins.

L’étudiant s’engagea dans l’escalier qui menait à la double porte d’ébène, tout en refermant ses doigts sur la sphère. Ses prochaines actions comportaient des risques pour toutes les personnes présentes ce soir.

Falane n’était certes pas le pire à participer à ce jeu sordide, mais le plus fourbe. Tout son être mielleux sonnait la cloche de la tromperie et de l’hypocrisie.

— Oh, mais qui voilà ; Galférion !

Le jeune homme fut attiré par son hôte, broyé au niveau des épaules par une main gigantesque et admonesté d’un sourire dantesque.

— Nous t’attendons pour commencer !

Une vague de frisson balaya son échine suite à cette entrée en la matière. À défaut de relever l’animosité à peine dissimulée de son hôte, auquel l’étudiant était habitué, il décelait un changement troublant dans son attitude. Savait-il ? Cette question orageuse traversa son esprit.

Ensemble, ils parcoururent un hall riche décoré de fresques de bataille et entouré de cierges aux halos tremblotants. Puis ils pénétrèrent dans un gigantesque salon bordé de cheminées en feu. Le jeune homme écoutait d’une oreille discrète les boniments de Falane. Il avait déjà le décorum en horreur.

Une table en chêne dont il ne voyait ni le début ni la fin se frottait à des fauteuils sur lesquels se prélassaient des invités. Plus de deux cents personnes paradaient en se servant boissons et petites douceurs croustillantes. Leurs ombres se déclinaient face aux larges fenêtres où entrait un flot de lumières crépusculaires. Le sol était recouvert d’un délicieux revêtement lisse sur lequel évoluaient déjà quelques danseurs lancés au tempo d’une immense chaîne hifi située à l’autre bout de la pièce.

— Alors qu’en penses-tu ? Ma Salle du Crépuscule n’est-elle pas grandiose ?

— Gigantesque et effrayante…

— Ah, ah, tu commences déjà à mentir !

Le thème de la soirée, c’était bel et bien le mensonge. Galférion l’avait oublié.

— Tu es d’une laideur effroyable, Falane ! s’exclama une jeune femme armée d’une flûte de champagne à quelques pas d’eux. 

Ce dernier l’abandonna pour aller saluer son aimable et grotesque interlocutrice. Vector adressa un regard venimeux au jeune homme avant de rejoindre son maître. La partie s’annonçait serrée. Emie, non loin de là, conversait avec une poignée de garçons enthousiastes. Si jamais elle lisait dans ses pensées, elle saurait tout de ce qu’il préparait et ce serait fini. L'étudiant s’enfuit dans l’autre sens à la recherche d’Anna. Plus vite il l’aurait mise au courant de son plan, plus il aurait de chance de survivre à la soirée.

 

En pleine dégustation, Dênmorane Malter se demandait pour quelles raisons il perdait son temps au cœur de ce luxueux château acquis de manière illicite. Peigné pour l’occasion, il n’en arborait pas moins une expression pareille à celle d’un flot de givre et une apparence négligée.

Alors qu’il sirotait son verre d’alcool, ignorant les détours qu’accomplissaient certaines personnes pour l’éviter, Falane et Galférion entrèrent tels des hérauts annonçant le début des hostilités. Dênmorane ne s’étonna guère de l’intérêt soudain que leur porta la gent féminine. Le second ne s’apercevait guère à cause de ses pensées tumultueuses et le premier n’en avait que trop conscience pour son propre bien. Cette ressemblance l’amusait.

Qu’était-ce que tout ce rassemblement de freluquets impotents et de minois cadavériques ? Les danseurs avaient l’air d’une bande d’arriérés simiesques, flânant entre deux lopins de robes et de peaux blanches, qu’ils effleuraient avec une inadvertance aussi feinte qu’une nuée de gorilles braillant sous le couvert de la jungle.

L’informateur repéra son client plus à l’odeur de son parfum poissonneux qu’à la vue de sa tenue mordorée, sa cravate de crevette et son air noble détestable. Il ressemblait à un crustacé rehaussé de petites aspérités, dont la coquille était prête à sauter à chaque instant au sein d’une marmite d’eau bouillante. Son irritation jaillissait par tous les pores de sa peau.

— Que faites-vous ici ?

— J’ai été invité.

— Vous êtes venu récupérer votre paiement.

Après l’explosion de l’usine, Shayne avait perdu son argent et ne pouvait plus payer Dênmorane. Et suite à la disparition de sa sphère de télécommunication, il prenait des mesures drastiques et urgentes sans pouvoir en référer à Lord Orton. Il devait vite se débarrasser de ce gêneur potentiel à la mine effroyable.

— Ne vous inquiétez pas. J’enverrai un collaborateur vous le remettre discrètement avant la fin de la soirée, déclara-t-il en jouant avec sa chaînette d’argent.

L’informateur hocha la tête d’un air satisfait. Shayne s’éloigna à la recherche d’une proie influençable. Un être faible qu’il pourrait hypnotiser et utiliser pour assassiner Dênmorane Malter. Intéressé, il repéra Maléa, qui seule et frêle, s’était assise dans un coin. Un élan de fureur lui crispa les doigts à la vue de la robe immaculée. Comment osait-elle s’habiller ainsi après sa trahison ?

 

Maléa offrait un spectacle morose à son entourage immédiat. La jeune étudiante était venue pour se confronter à Shayne, mais n’en avait pas le courage.

Il s'approchait d’une démarche oscillante comme un serpent porté sur deux jambes. Des picotements affleurèrent au niveau de sa poitrine en un brusque élan de peur. Affolée, elle chercha une échappatoire. Elle ne souhaitait pas de nouveau qu’on se serve d’elle à des fins inconnues et mauvaises. L'arrivée de Galférion la rasséréna. Éperdue, elle esquiva Shayne d’une course habile et s’accrocha au bras de sa cible.

— Ne dis rien, s’il te plait. Contente-toi de sourire, souffla-t-elle entre ses dents tout en l’entraînant sur la piste où elle était certaine que Shayne ne la suivrait pas.

Satisfaite, elle entrevit le regard meurtrier que leur adressa ce dernier.

— Qu’est-ce qui te prend ? maugréa son partenaire dans un chuchotement.

— Shayne est ici.

— Bien sûr qu’il est là, rétorqua Galférion en s’emmêlant les jambes.

Maléa recula sur un long un pas pour rattraper sa maladresse.

— Mets-y un peu du tien, sinon, il se doutera que nous jouons la comédie.

— Tu veux le rendre jaloux ou lui offrir deux cibles pour le prix d’une ? plaisanta-t-il.

— Fou de rage conviendrait mieux. J’ai peur de lui, avoua-t-elle subitement après un bond sur un son techno, et en même temps, je veux me venger.

Elle l’attira contre elle après un heurt malencontreux avec un couple enthousiaste.

— Tu ne sais vraiment pas remuer, remarqua-t-elle.

— Disons que j’ai quelques difficultés à évoluer sur deux lignes parallèles de trois centimètres de largeur, au milieu d’une bande d’Oiseaux sur le point de s’envoler.

À sa grande surprise, son ton maussade eut l’effet d’un baume apaisant sur Maléa qui éclata de rire.

— Tu n’as jamais dû te rendre dans un bal, marmonna-t-elle avant de se coller contre lui, on fait comme ça.

Elle rit encore plus en le voyant rougir.

— On a suffisamment de place pour remuer sans gêner nos voisins et surtout, ajouta-t-elle avec un clin d’œil complice, sans trop se fatiguer.

Le faux couple faisait à présent du sur-place. Le jeune homme suivait ses mouvements assez sulfureux sans y prêter attention. La bonne humeur soudaine de Maléa était contagieuse. Sans doute dans le but de plomber l’ambiance, il posa une question qui le titillait depuis quelques minutes déjà.

— Pourquoi es-tu venue ?

La jeune fille marqua une pause, puis reprit son déhanchement. Un flot de tristesse avait envahi ses prunelles sombres.

— À cause de… Je n’avais pas envie de rester chez moi, déclara-t-elle en se ravisant.

Elle n’osait pas lui faire des confidences. D’ailleurs, elle sentait bien que ce n’était pas le moment. Il semblait soucieux et ne cessait de jeter des regards à la ronde, comme un animal traqué. Et puis, même s’il était sympathique, une étincelle dangereuse et inquiétante embrasait quelques fois ses prunelles. Elle ne savait pas à quoi s’attendre avec lui.

— Si tu cherches Anna, elle nous jette des regards belliqueux depuis l’autre côté de la table.

Galférion tourna brusquement la tête ; ce qui lui arracha un petit grognement de douleur ; juste à temps pour entrevoir le profil hautain et froid que la jeune femme lui présentait. Shayne, non loin de là, se faufilait au milieu des invités avec le pas langoureux d’une ombre, tout en la surveillant.

— Shayne la couve du regard à chacun de ses pas.

— Cette espèce de mystificateur à l’eau de rose ferait mieux de s’observer dans un miroir, déclara Galférion avec une expression effrayante.

— En même temps, elle semble être plus intéressée pas tes faits et gestes que par ceux du fumier, observa-t-elle d’un coup d’œil audacieux, son front et ses sourcils se plissent dés qu’elle lui jette un regard en coin, tout en secouant son éventail. Apparemment, elle ne le porte pas dans son cœur. Inutile de te soucier de lui.

— C’est d’elle que je me soucie.

— Tu devrais aller la rejoindre, ajouta-t-elle subitement en le lâchant, je vais boire un verre et surveiller notre fumier commun. 

Ils se sourirent. Rassérénée, elle se faufila entre les danseurs.

Galférion contourna la table en longeant les murs. Il devait se hâter. Un parfum entêtant lui chatouilla les narines. Il repéra Emie, toujours entourée par son groupe d’admirateurs, et recula derrière un colosse maussade. Ce dernier paraissait faire le guet entre deux chaises telle une statue de gargouille à la mâchoire saillante et aux orbites foncées. Il agitait son gobelet, le faisant passer de sa main droite à sa main gauche, avec un rictus terrifiant, sans jamais le porter à ses lèvres.

Le jeune homme l’évita, soucieux de rester loin de ce mystérieux type habillé de noir. Était-ce un garde du corps ?

LIl aurait pu pousser sa réflexion plus loin, mais Falane l’interpella bruyamment :

— Gaf !

Il l’ignora et tenta une esquive entre deux lots de jeunes filles joviales, mais se heurta bientôt à Vector qui l'orienta dans la direction opposée avec une expression sinistre. Il crut entrevoir Shayne, puis se retrouva face à son interlocuteur, après avoir accompli un joyeux demi-tour entre deux derrières rebondis.

Le Baron de la soirée avait pris place au milieu d’un attroupement féminin. Il s’extasiait sur la beauté de son mobilier, racontait des histoires fertiles en âneries et récoltait un nombre de gloussements et de hoquets non négligeables. Rien à dire, il connaissait toutes les astuces pour créer les effets qu’il voulait, au moment où il le souhaitait. Ceci ne le rendait que plus dangereux.

— Ah, Falane ! s’exclama-t-il, contraint. Je ne t’avais pas entendu !

— Justement, j’ai besoin de toi, Gaf !

— Mon nom, c’est Galférion, rétorqua l’intéressé.

— Tiens, assois-toi…

Le tabouret vint à lui, plutôt que le contraire. Il perdait du temps. Qu’arriverait-il s’il était découvert avant d’avoir pu avertir Anna ? Qu’avaient prévu les autres ? Falane savait-il pour la sphère ?

— Alors voilà, mes amies n’osent pas mentir…

« Il est obsédé par ce thème stupide ! » songea Galférion, excédé.

—… Donc si tu commençais par me mentir, peut-être qu’elles se sentiraient plus à l’aise et le feraient à leur tour.

— Voyons, ça ne se fait pas ! observa une blonde pulpeuse en se pâmant.

Galférion toussa suite à cette remarque aussi inaboutie qu’un légume jeté en pâture à un carnivore. La pression devenait trop imposante pour son pauvre corps transi. Il se calma d’une prise d’inspiration rapide et jura intérieurement.

— Mais bien sûr, Falane. Tout le monde te hait. Si les femmes t’entourent, c’est juste parce que tu leur fais pitié avec ton air de chien battu plein aux as. Si tu arrêtais de forcer sur le pathétique, tu pourrais avoir d’autres copines que des filles superficielles parées de feuilles de choux fleurs et fardées comme des démentes.

Un silence de mort appuya la fin de sa phrase insultante. Galférion fut surpris quand Falane se plia en deux, hilare.

— M’insulter sous mon propre toit ! C’est osé ! Ha ! Ha ! Ha !

Se donnait-il consciemment un air éméché ou l’était-il vraiment ? La réponse vint d’elle-même.

— Ne va pas trop loin, non plus, chuchota-t-il entre deux hoquets.

Cet hypocrite jouait la comédie et se fichait de lui.

— La raison pour laquelle je te tiens à l’œil, elle est très simple, ajouta-t-il bien vite, je ne voudrais pas que tu fasses quelque chose de regrettable.

Falane savait. Cela ne faisait aucun doute, à présent. Galférion venait de mettre les pieds dans un bourbier. Tandis que tout le monde s’esclaffait, buvait et ne cessait de se resservir à la table, le jeune homme livide réfléchit à un moyen de se tirer de ce piège monstrueux. Depuis son entrée dans le manoir, il avait senti un vent de mystification planer sur la salle. Pire encore, il avait eu l’impression constante qu’on l’épiait. Il frissonna. Une crise d’anxiété menaça de lui broyer les intestins. Il se leva.

« Pas maintenant. Tout va bien, tout va bien. » songea-t-il en tentant de refouler des sentiments contradictoires.

Sa volonté vacillait ; sa peur s’accroissait.

— Ah ! Gaf, tu sembles bien pâle tout à coup ! C’est-ce mensonge horrible qui t’inquiète ? Il n’y a pas de quoi, je t’assure.

— Tu sais bien que non, souffla-t-il entre ses dents.

L’effort qu’il avait dû faire pour dires ces mots simples, lui coupa le souffle.

— Oh ! Mais qui vois-je ! Emie ! s’exclama brusquement Falane en se levant à son tour. 

Galférion profita de l’attention détournée de son hôte pour se glisser abruptement entre quelques personnes. Il devait se réfugier dans un coin d’ombre, loin de la lumière et du bruit, et se calmer. Il tituba, fléchit des épaules et accéléra l’allure. Alors, il croisa Anna, crut entrevoir une porte de sortie. Puis il se ravisa, lorsqu’elle le dépassa cruellement raide à la manière d’un bloc de glace. Le ton clair de sa jupe renforçait cet aspect neigeux. Galférion continua jusqu’à une chaise en retrait. Sur laquelle il s’effondra, hagard et tremblant.

Il avait à peine tenu une heure, surtout grâce - il dut en convenir - à l’aide de Maléa.

 

Anna crut qu’elle allait se briser, quelques secondes à peine après avoir ignoré Galférion. Les menaces de Shayne avaient été très explicites. Elle ne doutait pas qu’il les mettrait à exécution s’il la voyait se rapprocher du jeune homme. Anna n’avait pas le choix. Elle ne voulait pas qu’il devienne une arme dont on pourrait se servir contre elle ; même si elle savait pertinemment que quoi qu’elle fasse, il était déjà mêlé au jeu.

 

La salle se parait de couleurs flamboyantes, suite à l’illumination tardive de trois immenses lustres. Ils brillaient tels des diamants aux multiples facettes. Des éclats fantastiques auréolaient les teintures de soie écarlates et dévoraient les ombres des invités. Les flûtes et les coupes luxueuses scintillaient.

Depuis plusieurs quarts d’heure, Galférion n’avait pas bougé de sa chaise, coincé dans la pénombre, figé tel un roi impotent voûté par le poids des ans. Une porte s’ouvrait sur sa droite. Il savait qu’elle menait au hall et plus loin, à la sortie.

Il aurait pu capituler en toute discrétion, s’il l’avait voulu. Après tout, il ne se sentait pas capable d’aborder Anna dans ses conditions. Il avait fini son verre. Il devait bouger. Il doutait. Son plan lui paraissait d’ores et déjà extravagant, infécond, voire irréalisable ; né du mariage entre un espoir féerique et une folie ténébreuse.

Prisonnier de ses divagations paralysantes, il en oublia l’une des personnes les plus dangereuses de la soirée. Une silhouette fine, tout en courbe et en monts, glissa sur le sol lisse avec gaieté. Emie bondit jusqu’à un siège à ses côtés, et croisa les jambes en bâillant.

— Ses barbares m’ont épuisée…

Son parfum tenace sortit Galférion de son coma. Alors il jura bruyamment, mais sut que c’était déjà trop tard, quand la jeune femme le dévora des yeux.

— Quel plan romantique, sacrificiel et égoïste, souffla-t-elle avant d’imiter sa voix ; « oui, moi, le barbare d’une planète obscure, je vais montrer la X-Delta à la Fille d’Ernest et ainsi, remporter le jeu, la délivrer de son impitoyable destinée. Puis une fois qu’elle sera partie, je détruirai cette maudite sphère, avant que quiconque n’ait pu intervenir, sauvant du même coup ma planète et celle de la fille que j’aime. » Il n’y a pas à dire, ajouta-t-elle en reprenant sa voix normale, une telle histoire causerait des frémissements parmi la foule ; quand bien même ferait-elle le pari d’un manque d’originalité flagrant.

Emie l’enlaça, parfaitement consciente de ses effets, puis lui chuchota à l’oreille de manière fort suave :

— Tu n’as pas pris en compte trois petits détails : un, aucun participant ne laissera un barbare d’une planète isolée remporter le jeu, deux, l’organisation IRA te tuera dés qu’elle en aura pris connaissance, puisque j’en fais partie, trois, tu es bien orgueilleux de croire qu’Anna puisse être amoureuse d’un barbare.

— Et alors ? rétorqua le jeune homme en la défiant du regard.

— Oh, tu deviens belliqueux. Pourtant, il y a une minute, tu te désespérais. Tu aimes les défis. Il suffit qu’on vienne te titiller pour te lancer à nouveau sur le chemin de la vaillance. Tu es amusant.

— Je ne suis même pas étonné que tu fasses partie de cette organisation. Mais si je n’avais pas baissé ma garde, tout aurait été pour le mieux.

— Galférion, au moment où tu as mis les pieds ici, j’ai su ce que tu comptais faire et tout était déjà perdu. Il ne devrait plus tarder, à présent, ajouta-t-elle plus bas.

En même temps, elle effleura la sphère à travers le manteau du jeune homme.

— Garde-la bien au chaud pour son nouveau propriétaire.

Une silhouette élancée évoquant la faucheuse en action leur jeta de l’ombre. Projetée hors de sa chaise à cause d'une gifle, la Cantatrice chuta lamentablement sur le tapis, et étendue, ne bougea plus pendant quelques secondes. Éloignés comme ils l’étaient du centre des festivités, personne ne s’en aperçut ; sans compter que la musique tambourinait tant et si bien, qu’une chute et une violente claque se perdaient facilement dans le vacarme.

Anna sourit dédaigneusement. Abasourdi, Galférion l’observa un instant, elle semblait prête à trancher dans le vif. Emie se redressa, humiliée. Une affreuse ecchymose ornait sa joue.

— La Cantatrice d’Evalon s’est froissée l’avant-bras, constata Anna avec froideur.

— Je te hais ! Je te hais !

Un instant, la peau de Emie se para d’une teinte olive et ses merveilleux yeux verts s’éclaircirent dangereusement. Puis au prix d’une violente respiration, alors que quelques personnes intriguées s’approchaient, elle reprit contenance et dissimula juste à temps son hématome avec sa chevelure.

Anna leva son verre avec un léger sourire, tournant leur altercation en une banalité festive, qui démobilisa l’attention des badauds.

— Magnifique soirée, n’est-ce pas, Emie ? ajouta-t-elle avec une expression indéfinissable.

— Tout à fait.

La Cantatrice s’éloigna avec une étincelle apocalyptique au cœur des prunelles, toute dignité envolée.

— Viens Galférion, allons danser.

Elle le mena tranquillement jusqu’à la piste et l’entoura de ses bras. Assourdis par la musique, ils ne dirent rien pendant de longues minutes, se contentant d’évoluer ensemble au milieu des autres danseurs déjà assez éméchés.

— Je ne sais pas si nous pourrons être ensemble, souffla-t-elle brusquement dans le creux de son oreille.

Le jeune homme l’enlaça plus étroitement.

— Je sais que tu n’es pas humaine, si c’est de cela qu’il s’agit.

Anna tressaillit avant de répondre.

— Qui te l’a dit ?

— Un journaliste inter planétaire, marmonna Galférion, un tantinet embarrassé, qui s’appelle Zero.

— Zero, répéta-t-elle songeuse.

Elle ne paraissait pas surprise. Il décela même un certain dédain dans son hochement de tête.

— Ce type est une vraie plaie. Il ferait tout pour remonter dans l’estime de ses confrères, de son public et de son journal. Mais, ajouta-t-elle brusquement, il est digne de confiance. Une fois qu’il a trouvé sa proie, il ne la trahit pas.

— J’ai quelque chose à te…

Un bruit désagréable couvrit la musique, évoquant le crissement des mandibules d’un insecte. Les invités en cherchèrent la source. Des prunelles orange scintillèrent derrière l’une des immenses fenêtres. Galférion frissonna. Non, ce n’était pas le moment, il allait annoncer à Anna qu’il détenait la X-Delta ! La barrière de verre éclata sous la pression du corps inhumain.

Couvert d’un linceul, Galrane se dressa dans les lueurs lunaires. Sa face blafarde et osseuse se dévoila sous son capuchon improvisé. Des hurlements de terreur résonnèrent longtemps dans la salle, tandis que la panique se répandait telle une traînée de sang et que la musique s’éteignait brutalement. Anna et Galférion furent séparés l’un de l’autre par la marée de bras et de jambes en mouvement des invités effrayés. Repoussé vers la table, ce dernier trébucha sur Dênmorane Malter, qui étendu, les yeux révulsés, s’était évanoui.

— Maintenant, tu es fait comme un rat, fit une voix derrière lui.

Arraché du sol par un bras musculeux, le jeune étudiant étourdi fit face à la Spirale Rougeoyante. Son assaillant dénicha bien vite la sphère, qu’il lui mit sous le nez d’une main gantée.

— Un voleur de plus dans un monde de truands.

Galférion bascula tête en bas, puis fut promptement éjecté en direction de la bête. Son instinct de survie décima les dernières traces de son impuissance. En plein vol, le jeune homme inversa la gravité. Au lieu de cueillir de la chair fraîche entre ses pinces, la Bête blanche percuta la table. Un plat en acier voltigea et lui retomba sur le crâne. À défaut de lui causer de grands dommages, ce coup inopiné entraîna un échauffement dans son corps glacial.

Galférion traversa une vitre après le relâchement de son pouvoir. Les éclats acérés se répandirent au vent. Le jeune homme retomba avec violence. Le choc le souleva, lui arracha un hurlement de douleur et l’abandonna dans une forêt de buissons touffus. Où il resta, un instant, immobile, la bouche en sang. Sa vision se fractionnait en une multitude d’images noires, squelettiques et brumeuses.

Un filet de sang chaud coulait le long de ses joues. Une bourrasque froide chassa sa léthargie. Une douleur terrible parcourut son bras gauche quand il tenta de s’appuyer dessus. Il retomba, le visage enfoui dans le tas de terre qui entourait le petit tronc d’un buisson.

Un chemin tortueux montait jusqu’aux vitres brisées. Il avait le choix, fuir ou avancer, oublier ou se souvenir ; la colère ne le quittait pas, embrasant son esprit. Même s’il avait échoué, perdu la X Delta, il lui restait de l’espoir. La sphère était juste là, à portée de main, et il allait la remettre à qui de droit.

Galférion chemina en direction de la demeure, son bras blessé plaqué le long de son flanc. Une large coupure barrait son front. Il dut en chasser quelques éclats de verre. Sur son chemin, il ramassa une pierre de bonne taille. Il enjamba le rebord de la fenêtre et s’arrêta. Les lustres clignotants se balançaient à cause des courants d’air tels des guenilles colorées.

Galrane veillait. Inis, au masque en spirale, se tenait sur la grande table face à un attroupement de visages connus. Au milieu de ce groupe, Shayne protégeait Anna ; loin derrière, Maléa, livide, se tordait les mains et en retrait, Falane, l’homme inquiétant et Emie patientaient. Des corps brisés et tordus gisaient à travers la salle, fauchés dans leur course par les armes naturelles et acérées de Galrane.

— Laissez-moi remettre à notre cher hôte, cette offrande, en guise d’excuses pour la mort de quelques barbares et la destruction de sa salle.

Inis tendit la sphère à bout de bras. Galférion retint son souffle.

« C’est vrai ; je souhaitais sortir de ma vie anodine et sans saveur, peuplée d’habitudes et d’inertie. Mais toute cette horreur et cette impuissance qu’on ressent dans une telle situation, me ferait presque regretter, ne serait-ce, que la semaine précédente. » songea-t-il en ignorant la douleur dans son bras gauche.

— Ce soir, la bataille reprendra sans interruption abusive et vous saurez tous…

Une pierre tournoya et arracha la sphère des doigts d’Inis. Il se détourna un instant de ses interlocuteurs.

— Je doute que la X Delta t’appartienne, souffla le jeune homme, furieux.

Anna et les autres tiquèrent, surpris qu’il connaisse le véritable nom de la sphère.

— Galférion, quel plaisir de t’entrevoir tout ensanglanté, quoique tu aies l’air en grande forme. Ramasse la sphère, ordonna Inis à son garde du corps.

— Je ne peux plus bouger ! grogna Galrane

— Ce que vous faites est immonde. Vous avez abattu des personnes de mon peuple pour une stupide querelle. Anna ! Elle est pour toi. C’est pour toi que je l’ai amenée, cette maudite sphère !

Un mélange d’incrédulité et de respect se peignit sur le visage de la jeune femme. Shayne lui jeta un regard haineux. Quiconque s’adressait à la future impératrice était suspect et dangereux.

La Bête Blanche s’arc-bouta pour résister à la pression. Le jeune homme accrut la gravité, puis l’inversa avec une telle rapidité que Galrane fit un bond comme un pantin désarticulé. La table se fendit sous son poids. Ses deux pans s’élevèrent devant l’assistance médusée. Le criminel alien reçut l’équivalent d’une tonne de chêne massif sur le crâne.

Des craquements, des bruits de vaisselles brisées et des grognements troublèrent le silence funèbre de la Pièce du Crépuscule. Les convives se protégèrent du déferlement de fragments, de couverts et de plateaux garnis de nourriture.

Inis ignora les objets en plein vol, armé d’une lance à l’apparence meurtrière. Galférion l’esquiva en plongeant à terre. Le mur touché par la pointe de l’arme se désintégra sur un flot de poussière noir.

L'étudiant s’empara d’une chaise et la projeta dans les jambes d’Inis. L’attaque détournée fit imploser le sol sur sa gauche. La force de la déflagration l’envoya bouler. L’arme d’Inis se rétracta pour porter un coup fatal au jeune homme sonné.

Anna se plaça sur la trajectoire de la lance. Inis érafla le bras de la fille d’Ernest. La nouvelle explosion inonda les spectateurs de gravats. Même les fondations avaient été soufflées, dévoilant une terre flétrie trop longtemps restée dans les ténèbres. La jeune femme, très calme, ne cilla pas. L’assassin prudent recula hors de sa ligne d’attaque.

Un homme de haute taille se matérialisa à ses côtés, le pommeau de sa ravaldia entre les doigts. Il redressa ses lunettes de soleil sur son nez, tout en contemplant la Bête Blanche de ses pupilles marron. Son sourire inquiétant dévoilait toute sa dentition.

— Gustave, qu’attendiez-vous ? Le déluge ?

— Je pensais que cette espèce de chevalier d’argent en pantoufles vous suffisait, mademoiselle Anna.

— Imbécile…

Galrane projeta les morceaux qui l’ensevelissaient dans les airs. Ses prunelles orange se plissèrent, puis se figèrent sur le jeune humain étendu.

— Toi… Je vais te… tuer !

Galférion, bien que mal en point, tenta se remettre sur pieds, mais Anna le repoussa du bout des doigts.

— Reste ici, ne bouge pas. C’est mon tour à présent.

Elle lui effleura la joue avec tendresse, puis s’éloigna avec dignité, accompagnée de son garde du corps. Toujours vivante, Maléa vint soutenir le jeune étudiant éreinté.

 

Anna se dirigea à vives enjambées vers leurs ennemis. Gustave marchait deux pas derrière elle, sa Ravaldia bien en vue, tenue à deux mains. De l’autre côté des tas de débris, une bataille s’était engagée entre Shayne, Falane et Emie pour récupérer la sphère au milieu des cadavres.

Mais la fille d’Ernest ne leur prêtait pas la moindre attention, concentrée sur un reptile insectoïde répugnant et un humanoïde au service d’IRA. Elle déplia son éventail blafard dans un cliquetis métallique. Ses cheveux s’étaient parés de crépuscule, ses yeux, de feux violets, et sa peau brillait à la manière d’un rayon de lune suspendu, immobile et éternel.

— Je ne veux pas dévorer cette Ernestienne, créature de Gan-Metal. Elle serait très indigeste pour mon métabolisme.

— Voyons, la beauté s’admire sans réserve de nuit comme de jour. Jamais exquise splendeur ne lasse.

— Pourquoi n’utilises-tu pas tes armes habituelles ? Que caches-tu ? s’enquit Anna avec aplomb.

— La dissimulation est l’art des maîtres. Même si tu déchires le déguisement, rien ne te garantit de la réalité du visage. Le hasard ne choisit pas ses victimes, il s’exerce à les fournir, bien malgré lui. C’est en fin de compte, la seule loi de l’univers.

— Tes mots d’esprit m’énervent. Très bien, finissons-en. Je t’ai déjà assez de toutes ces stupides mises en scène, rétorqua-t-elle avec mépris.

— Laissez-moi vous montrer toute l’étendue de votre impuissance, Fille d’Ernest !

Une aura verte et pourrie enveloppa Inis alors que Gustave, sur un signe de tête de sa maîtresse, engageait le combat avec la Bête Blanche. La fureur de leurs échanges l’éloigna rapidement de sa protégée.

Restée seule face à son adversaire au masque abjecte, Anna déclencha un bouton dissimulé sur son éventail. Une lance fine et argentée en jaillit.

Un feu crépusculaire crépita le long du métal puis parut exploser en atteignant la pointe. La jeune femme s’élança, feinta, agile, lumineuse, comme si l’air lui-même s’écartait pour lui livrer passage. Leurs armes s’entrechoquèrent plusieurs fois. Des morceaux de table et des cadavres flambèrent ; les dernières vitres de la salle se fendirent face aux ondes de choc du combat.

Anna n’avait pas l’avantage. Elle le sentait déjà dans son corps : la nuit lui dérobait sa puissance psychique, tout comme le jour l’exacerbait dangereusement. Sa force était à son paroxysme à l’aube et au crépuscule.

Inis cingla ses bras, sa joue et sa jambe avant qu’elle ne lui inflige un coup en pleine tête. Son masque se fendit sous l’impact. Inis la désarma d’un geste vif.

Anna s’écarta, glissa sur le sol ; et dégaina sa Ravaldia dans le même mouvement. Mobilisant ses pouvoirs, elle projeta un boomerang de lumière tranchant vers son adversaire.

Ce dernier le dévia de justesse. Le lustre le plus proche fut secoué par le passage de la lame immatérielle. Il se sépara en deux parties identiques. Déjà essoufflée, Anna s’avisa que sa flamme du Crépuscule s’était éteinte. L’ombre l’aspirait bien plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru. Elle ne tiendrait jamais face à celle d’Inis.

Elle n’abandonnerait pas, tout comme Galférion étendu dans un coin de la pièce sur ses talons. Durant quelques secondes, cet humain avait défié avec un regard résolu et implacable, d’une maturité mystérieuse, un être contre lequel il ne pouvait rien. Il possédait des ressources insoupçonnées.

Or Anna n’était pas humaine. Ses plaies s’effaçaient déjà, sans laisser de traces sur sa peau blanche. Elle ne pouvait pas révéler sa véritable apparence, ce qui la désavantageait aussi.

— Vous faiblissez, Fille d’Ernest !

— Vraiment. Vous commettez là une bien grave erreur de jugement, Inis.

D’un léger et gracieux mouvement, elle recréa sa flamme crépusculaire. Ses prunelles violettes s’étrécirent. Elle venait de trouver son point faible.

 

À quelques mètres de là, Shayne tentait de récupérer la sphère avec passion. Le Chevalier d’Argent s’était éloigné durant l’escarmouche explosive entre Anna et Inis. Il avait perdu la boule de vue pour la retrouver entre les mains démoniaques de l’Eliade au sourire mielleux. Il s’était figé, enragé.

— Vous apprêtez-vous à lancer un sort pour me conjurer ? s’enquit Emie, sarcastique.

— Je me prépare à vous détruire.

— Quelle audace !

L’Eliade s’éleva de quelques centimètres. Ses yeux s’agrandirent et se barrèrent d’une ligne d’obscurité. Son pouvoir psychique s’enroula autour de Shayne pour le soumettre. Des ondes se propagèrent depuis la chaînette du chevalier d’Argent, bloquant son assaut.

Emie s’éloigna en planant, agacée. Des fils imperceptibles se déroulèrent depuis ses doigts de fée. Ses derniers s’élevèrent, puis cinglèrent le chevalier d’argent sans déclencher ne serait-ce qu’un remous d’air.

Shayne chuta malgré la protection offerte par son champ magnétique. Une douleur sourde remonta le long de son échine. Son regard resta inexpressif. La capacité de résister à la souffrance était la première chose que les Chevaliers d’Argent apprenaient. On fouettait les jeunes recrues pendant des jours et des nuits, jusqu’à ce qu’ils s’y habituassent. C’était l’un des tests à valider pour pénétrer dans l’École d’Argent.

Shayne évalua rapidement la situation ; il ne pouvait pas hypnotiser sa proie, ni l’approcher et la mettre hors d’état de nuire. Seule une arme en était capable à ce jour, et malheureusement, il ne l’avait pas en sa possession. Cependant, son objectif était de s’emparer de la sphère, pas se débarrasser de son ennemie. Il lui suffisait d’attendre la bonne opportunité.

Profitant de la situation, Falane s’était glissé derrière l’Eliade pour refermer ses bras puissants sur ses chevilles. Des fouets invisibles ricochèrent sur son dos de pierre.

— Sans vouloir vous offenser, mon peuple est aussi ancien que le vôtre, très chère.

— Sale petit homme vert, lâche-moi ! rugit-elle en se débattant.

Shayne lui arracha l’objet des mains. Il se retrouva plaqué au sol avec violence par Falane qui s’empara à son tour de la sphère d’une seule main.

— Ne soyez pas aussi arrogant, Shayne Estrelac, cracha Falane, face à un Prince de Guerneverich, vous n’êtes qu’une épine.

La cheville d’Emie craqua alors qu’il projetait ses deux concurrents contre des parois opposées. Grâce à la densité de cette planète, il pouvait soulever six fois son poids sans effort. La gravité n’était rien ici comparée à celle de son monde d’origine où la masse atmosphérique vous broyait sans cesse à la manière d’un pied s’abattant sur un pantin de brindilles.

Falane ramassa ce qui lui était dû et jura bruyamment. Il perdait patience. Où se trouvait Vector quand il avait besoin de son aide pour se contrôler ? Ce qu’il tenait entre ses doigts n’était pas la X Delta.
 

« Cet humain s’est joué de nous ! »

 

Plus loin, Galrane se battait avec acharnement contre Gustave. Le garde du corps recula et para une nouvelle attaque de la créature qu’il ne connaissait que trop bien. Avant de protéger la Fille D’Ernest, il garantissait la loi dans une grande partie de la galaxie. Ses pas avaient déjà croisé plus d’une fois ce criminel impitoyable et perfide, dont la tête avait été mise à prix. Les mondes, qu’il avait détruits ou recyclés pour ses expériences, se comptaient par centaines. La Bête Blanche était entrée dans la légende, insaisissable, toujours en cavale. Même les murs de la prison située près de la Fournaise ne lui avaient pas résisté. Ce monstre devait être tué, sans quoi il continuerait de piller et d'annihiler la vie jusqu’à la fin des temps.

C’était l’un de préceptes de son peuple : « Si de tes mains, tu tentes d’anéantir la vie, je te détruirai. » Cette horreur entrait dans la définition. Sa Ravaldia au côté, il se prépara pour déployer son « Sephôn », et venir à bout de la peau extrêmement dure de son assaillant.

— Je te connais, Bête Blanche. Tu n’as nul semblable dans toute la galaxie, ta folie est légendaire. Tu as dévoré ta mère et ceux qui t’avaient offert l’asile. La mort est ta seule perspective d’avenir.

— Ne me reproche pas ma monstruosité, ce n’est qu’une affaire de perspective, cracha la Bête Blanche en dévoilant ses crocs reptiliens, contente-toi de périr sous mes lames immaculées.

— Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. À chaque fois, j’ai reçu l’ordre de ne pas utiliser les techniques secrètes de ma civilisation. Aujourd’hui, je peux en faire usage ; je ne suis plus lié à un code d’honneur autre que le mien.

Les deux adversaires se jaugèrent un instant. Entre les doigts de Gustave, son épée parut bondir en avant après qu’il eût exécuté une série de mouvements fulgurants. Il se rua sur sa cible, concentré, oubliant tout ce qui l’entourait, ne gardant que sa volonté pour lui indiquer la marche à suivre. Au bout du tunnel obscur créé par sa conscience, il ne restait désormais plus que la silhouette immaculée et froide du criminel.

Soudain, un écran de lumière brouilla tous ses sens.

 

Le masque d’Inis explosa sous l’ultime assaut d’Anna. Sous leurs pieds, la roche fondit, au-dessus d’eux, l’air vibra, parcouru par de longues ondes de chaleur. La flamme pourrie disparut, dévorée par celle du Crépuscule ; d’un estoc, elle transperça le corps d’Inis. La seconde arme d’Anna, qu’elle avait récupérée, se changea à nouveau en éventail, accompagnée d’un flot de sang vert. Sans laisser le temps à l’agonisant de tomber, elle se débarrassa des lambeaux de son masque et demeura interdite.

Le visage brûlé de Vector apparut. La jeune femme affaiblie se détourna du mort. Encore étourdie, elle chercha Gustave des yeux et les ferma brusquement. Une lumière éblouissante envahit la pièce. La voix du véritable Inis retentit dans chaque oreille.

— La manipulation est aussi l’Art des Maîtres. Vous m’avez tous amusé, bien plus que je ne l’espérais. Je vous dois bien ce secret : je suis l’un des organisateurs du Jeu. Vous connaissez tous mon nom, je suis Inis, une créature de Gan-Metal.

« Désormais, pour être déclaré vainqueur, il faudra éliminer tous ses opposants, tout en garantissant la survie d’Anna. D’autres participants belliqueux feront bientôt leur apparition. Des joutes seront organisées et les intérêts de chacun convergeront vers un même point. L’université, entre autres, pourrait bien se changer en lieu de batailles et de carnages. Voilà pourquoi, je déclare que ces deux humains, Galférion et Maléa, participeront à la Traque finale qui aura lieu dans quelques jours. »

— Que voulez-vous ?

La voix de Falane parut déchirer le voile chatoyant. Durant un bref instant, Anna vit les silhouettes du véritable Inis et de la Bête Blanche s’arrêter devant l’encadrement d’une fenêtre brisée.

— Ne soyez pas aussi impatient, Prince. Offrez-moi des intrigues et des combats grandioses, divertissez-moi. Et rappelez-vous que si vous m’ennuyez, je briserai votre vie… Ah, une dernière chose, Galférion ! Si tu mets ton plan à exécution, tu seras puni. Tes proches mourront et ta planète sera détruite. De même, si tu continues d’esquiver, avec une habilité - que dis-je, un talent ! - hors du commun, tu seras considéré comme défectueux et par conséquent, éliminé.

« Tu as une chance, aussi minime soit-elle, de gagner dans les règles. Ne trahis pas l’estime que j’ai placée en toi. La X Delta est toujours en ta possession, après tout. C’était bien joué. Adieu. »

L’obscurité revint et offrit à nouveau les lieux dévastés aux regards atterrés, voire haineux, des personnes présentes. Emie avait disparu sans laisser de traces avec le duo.

Gustave rengaina sa Ravaldia et poussa un long soupir. Il avait manqué sa cible et fendu la moitié du mur sud. Sans tarder, enjambant les débris et quelques corps, il rejoignit Anna.

Shayne, profitant de l’accalmie, boîta jusqu’à Falane et s’empara de la sphère de télécommunication.

— Si vous permettez, ceci m’appartient.

— Prenez-la et hors de ma vue.

Le Prince s'approcha du cadavre de Vector, qu’il observa un moment. Était-ce un traître ou une victime ? La clef du mystère ne serait pas dévoilée ce soir. Son état de fureur grandissait de seconde en seconde.

Ses assistants auraient du travail : effacer les traces du passage de la Bête Blanche et vaporiser les morts sans état d’âme. Même si les forces de l’Ordre locales venaient, il n’y aurait plus rien à découvrir. Il avait pris soin d’activer les pièges de son château ; la mémoire des autres invités serait effacée avant l’aube. Bref, tout redeviendrait comme avant propre et pur.

— Tu m’as bien servi, Vector. Je remercierai ta famille, tu peux me faire confiance, même si tu es un traître, ce dont je doute fort. Quant à vous autres, quittez rapidement cet endroit, votre présence exacerbe ma colère. Je ne peux pas garantir votre survie, si vous tardez. Nous sommes ennemis, maintenant, ne l’oubliez pas, lança-t-il, impitoyable.

 

Malgré sa douleur et sa raideur, Galférion se redressa, aidé par Maléa. Désormais, il ne pouvait plus reculer, il était fait comme un rat. Le vœu de la voix prophétique de son rêve avait été exaucé. Néanmoins, la X Delta était toujours en sa possession : il s’était trompé de sphère, mais pas intentionnellement. S’il en avait eu la force, il aurait ri. Son étourderie lui avait sauvé la vie. Si son plan avait réussi, Inis les aurait tués sans état d’âme. Depuis le jour où il avait mis les mains sur cette boule noire, tout le poussait vers un destin funeste.

« C’est un peu tard pour s’en rendre compte. » songea-t-il, amèrement.

Songelame - science-fantasy
G.N.Paradis - inconnu

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Résumé du Livre

Lorsque Galférion Bell reçoit un étrange mail qui ne lui est pas destiné et met la main sur une mystérieuse sphère, sa vie bascule. D'anodine, elle devient peu à peu extraordinaire, ce qui n'est pas sans danger.

D'étonnants êtres venus d'ailleurs semblent avoir fait de sa planète une terrain de jeu et d'expérimentations. Réussira-t-il à démêler le vrai, du faux, la vérité du mensonge, sans sombrer dans la folie ?

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