Mel Tor 2
Le ciel sombre, parsemé de nuages gris, oscillait sous les yeux de Mel Tor. Il se tenait là, debout et raide, face à un monde dévasté. Un immeuble tranché gisait au milieu d’une plaine de poussière métallique. Des milliers de squelettes jaunissaient alentours dans des postions grotesques. Une lumière scintillait au loin, tout près, en réalité, il lui suffisait de tendre la main pour la saisir.
« Je vais me battre. » souffla-t-il.
Le vent l’environna tel un long manteau, puis…
…Il émergea de son cauchemar, la tête lourde, des larmes dans les yeux. Il les essuya et passa la main dans ses cheveux blonds coupés courts. Il s’étira, avec un sourire amer, habitué à être hanté par cette image de destruction. Il n’avait plus le sommeil tranquille depuis quelques temps.
Il pensait toujours à cette jeune femme, une ombre aux yeux bleus, et aux fleurs de lys qu’il s’apprêtait à lui offrir. Quel gâchis. Quel cliché. Il pensait vraiment qu’il pourrait l’aborder, même après toutes ses années. Il avait bien trop rêvé, pas assez agi, il avait pourchassé des ombres blanches.
Le jeune homme se redressa dans son lit étroit. De la sueur séchait dans son dos. Il détestait cette sensation. Il chercha à tâtons de l’écorce de saule blanc et le jeta dans un verre d’eau. Puis il but. Sa chambre était plongée dans la pénombre ; les petites fenêtres, protégées par des barreaux, ne fournissaient pas assez de lumière.
Il vivait sous les combles d’un immeuble datant du siècle dernier. Il avait été restructuré après la grande catastrophe de 2137, par une injection à base de diamant, mais il restait tout de même un vieux foyer. Le propriétaire proposait les appartements à prix bas, pour essayer de concurrencer les immeubles hauts de gamme. Il y parvenait jusqu’à présent plutôt bien ; tout était rempli du rez-de-chaussée au septième étage.
Mel se sentait seul. Il connaissait plutôt bien son voisin, un petit chauve claustrophobe, qui dévalait les escaliers pour s’échauffer avant ses joggings. Mais du fait de sa phobie, il détalait dés qu’il en avait l’occasion. Le jeune homme n’avait jamais réussi à dépassé le stade des conversations banales et rapides avec l’individu.
A qui pourrait-il parlé de son rêve ? A sa sœur Catherine ? Elle n’avait pas pris contact depuis bientôt trois mois. Depuis l’accident. Leur mère était à l’hôpital, inconsciente, et sa soeur était furieuse contre lui, car il refusait la voir.
Lorsqu’il avait appris la nouvelle, il venait de jeter les fleurs sur les rails du train souterrain. Autant dire que cette journée là, il s’en souviendrait toute sa vie. Il avait couru jusqu’à l’hôpital après être sorti de la galerie. Enfin, il était plutôt faible, physiquement, et avait été forcé de ralentir plusieurs fois avant d’arriver à destination.
Il s’était évanoui en entrevoyant sa mère, couverte de sang, par l’entrebâillement d’une salle d’opération. Son visage fin et souriant avait été lacéré. Le Lacéreur, un fou psychotique que les journaux avaient surnommé ainsi, avait été à l’origine de cette attaque cruelle.
Il avait été appréhendé hier, juste avant d’accomplir un de ses méfaits.
Mel l’avait vu aux infos ; une véritable loque, le visage couturé de cicatrices jaunâtres et de pustules. Il avait crié des choses répugnantes, en vomissant un mélange de salive, de billes de sang et d’alcool. Puis il s’était affaissé, là, devant les caméras, raide mort.
Le jeune homme n’avait ressenti aucun soulagement morbide, il aurait voulu comprendre la raison de ces massacres incohérents.
Le décès du Lacéreur ne lui avait été d’aucun secours pour atténuer sa colère. Il avait bien peur que s’il revoyait sa mère, inconsciente, il ne ressente rien de plus qu’un vide immense et une impuissance grandissante. Il ne savait que rêver, pas agir. Il pouvait songer à la vengeance, se prêter tous les pouvoirs à travers son imagination et exploser à travers son subconscient en fureur. Néanmoins, cela ne menait à rien dans la réalité.
Il se contenait. Ses yeux noirs brillèrent de fureur.
Mel secoua la tête, mit un pied à terre et jeta un coup d’œil à l’écran noir de son petit ordi portable ; une antiquité qu’il avait fait retaper par un ami. Aujourd’hui, c’était son jour de congé. Il n’avait pas à s’occuper de la librairie virtuelle, ni à conseiller des clients.
Il appuya sur une touche. L’écran s’éclaira d’une leur bleue tamisée ; il cliqua, internet se lança. Il chercha la vidéo ; tout défila rapidement. Il revit le tueur, éructant, et perçut dans ses yeux une lueur… d’effroi. Il stoppa l’image. Cet homme tentait de dire quelque chose. Il en avait la certitude.
« Je vais l’envoyer à Bengi. Je veux savoir. »
Il téléchargea la vidéo sous laquelle on pouvait lire des commentaires horrifiés. Puis il l’a transmis à son ami ; un type qui avait abandonné ses rêves et accueillit la réalité à bras ouverts. Une personne normale, en réalité.
La lumière tamisée des ordinateurs pulsait à travers le monde. Ils étaient éloignés les uns des autres et reliés par une immense toile d’influx électrique. Tout était artificiel. Néanmoins, des millions d’hommes et de femmes s’y retrouvaient chaque jour ; à travers des forums, des tchat et des réseaux sociaux. Beaucoup s’affichaient par des photos, se créant une identité et des groupes.
« Regardez qui je suis ! Je vis ! » semblaient-ils tous crier.
Alors qu’en ces lieux, leur vie s’étiolait.
Quelque part sur la Toile…
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Lamaël :
Alors, as-tu jeté un coup d’œil ? Que peux-tu me dire ?
Horror :
Ce n’est pas si simple ; quelque chose d’aussi trash ne saurait être décodé en si peu de temps. Mais j’ai demandé de l’aide à un spécialiste du son ; un ami…
Innocentus :
Salut vous deux ! Je connais Horror !
Lamaël :
Salut… Je me serais bien passé que tu alertes tout le quartier, Horror.
Horror :
Salut, Innocentus… Tu me demandes de l’aide, je m’exécute. Ce type a des oreilles ultra sensibles. Il pourrait entendre des ultrasons avec un peu d’effort. Je lui fais confiance.
Innocentus :
Même si ce que tu dis est flatteur, ne m‘ignorez pas, où je vous transmets une mélodie si terrible que vos oreilles vont tomber. Ça s’appelle Ravage et c’est signé Jack l’Ignoble.
Lamaël :
Mon audition risquerait d’en souffrir, en effet… merci pour votre boulot, qu’est-ce que vous avez découvert ?
Horror :
Moi, pas grand-chose, j’ai juste remanié la bande son et booster le pixel. Je voulais lire sur les lèvres du lacéreur, mais je n’ai pas réussi à comprendre ce qu’il disait étant donné qu’il se vidait de ses entrailles au même moment.
Innocentus :
Pour ma part, j’ai entendu beaucoup de déglutitions, chef. Mais deux mots très clairs me sont parvenus : pion et innocent.
Horror :
Tu en es certain ?
Innocentus :
J’en casserai l’instrument de ma star préférée. Je ne dis pas ces paroles en l’air. Pour vérifier, j’ai demandé de l’aide à mon tour.
………………………………………………
Inis :
Bon, je n’ai pas toute la soirée ; je suis occupé… Et si notre ami commun ne m’avait pas traîné jusqu’ici, je vous aurais certainement jeté dans de l’azote liquide !
Azraël :
Tu es toujours aussi tatillon !
Inis :
Il fallait bien que je te remette à ta place ; tu commençais à déblatérer des histoires de possessions démoniaques. Ce type n’était pas saint d’esprit, je le reconnais, néanmoins, ce qu’il a dit était parfaitement cohérent. Je l’ai relevé avec les amplitudes soniques de la bande son. D’ailleurs, il faudrait vraiment que je vous étudie, Innocentus… Votre cerveau doit avoir quelque chose de spécial ; sans les logiciels et les expérimentations adéquats, il est impossible de percevoir les mots émis par une gorge lacérée.
Innocentus :
Désolé, je ne serais pas votre cobaye… euh, que voulez-vous dire par gorge lacérée ?
Azraël :
Pour faire court, son larynx a été proprement incisé. J’ai eu accès au cadavre ; et c’était perceptible via les expériences qu’a mené Inis avec la bande son. On ne voulait pas que cet homme parle.
Lamaël :
Euh, vous sortez d’où, tous ?
Azraël :
Je connais Innocentus qui connait Horror qui te connait toi. Et Inis est un ami.
Inis :
En vérité, nous nous vouons une rancune tenace. Azraël prétend que la magie existe ; ce qui a mes yeux, exprime le degrés de son hermétisme à la Science et de son ouverture à l’ânerie.
Azraël :
N’empêche que tu n’as pas réussi à expliquer certains faits, Mister Logic !
Inis :
La Nature cache encore de lourds secrets : je les percerai à jour et tu devras alors oublier tes croyances ridicules.
Horror :
Il me semblait que vous étiez pressé.
Inis :
Certes. Voilà ce qu’il a dit : je suis innocent, je ne suis qu’un pion parmi tant d’autres, un pion qu’ils ont mis à mort… Bien, vous n’avez plus besoin de moi. Au revoir.
Inis s’est déconnecté.
Azraël :
Cet homme est occupé.
Lamaël :
C’est-ce que j’avais cru comprendre ; mais vous le remercierez de ma part à l’occasion.
Azraël :
Je n’y manquerai pas.
Innocentus :
J’ai remarqué aussi qu’il avait déjà envie de me disséquer… Bref, pourquoi tout ce remue ménage ?
Horror :
C’est privé.
Lamaël :
Merci vieux.
Horror :
De rien.
Lamaël :
Bon, résumons : quelqu’un ne voulait pas que cet homme parle, mais il y est parvenu en partie. Il s’est déclaré innocent. Désormais, il est mort. Ça sent le complot à plein nez.
Horror :
Toi et tes conclusions hâtives ; ce type était fou. Les journaux ne l’ont pas surnommé le Lacéreur pour rien.
Azraël :
Et si ce n’était pas le Lacéreur.
Innocentus :
Alors qui ça serait ; un démon qui serait entré dans son corps ?
Azraël :
Ou peut-être une forme spirituelle ténébreuse. Qui sait. Je n’ai rien perçu du cadavre lui-même, aucune émanation, donc je ne suis sûr de rien.
Innocentus :
Parce qu’en plus, vous étiez sérieux…
Azraël :
J’ai à faire, bonne soirée.
Azraël s’est déconnecté.
Lamaël :
Tu l’as vexé.
Innocentus :
Je ne pense pas ; à mon avis, il est plutôt allé jeter un coup d’œil dans ses livres. Bon j’y vais ; ravi de vous avoir entrevu sur la toile. Bonne soirée.
Innocentus s’est déconnecté.
Horror :
Que vas-tu faire ?
Lamaël :
Découvrir le vrai responsable.
Horror :
Et si c’était réellement ce type, le responsable ?
Lamaël :
Alors je ne découvrirai rien.
Horror :
Bref, fais comme tu veux. Si t’as besoin d’aide, je serais dans le coin, enfin sur la toile.
Lamaël :
Je sais ; encore merci, ça faisait un bye !
Horror :
Ouais, un bye. Bonne soirée.
Lamaël :
De même.
Horror s’est déconnecté.
Lamaël s’est déconnecté.
……………
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……..
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Bip…Bip…Bip…